Je connais Jim Lainé depuis mes débuts chez Semic, fin 2001. Non. En fait, on se connaissait avant, puisqu’on se croisait sur des salons, depuis l’époque où je lui montrais mes Zéro-Force et qu’il les regardait poliment (car il était poli, à l’époque). Jim, c’est sans doute le gars que je connais qui écrit le plus. Et ce qui est terrible, c’est que c’est aussi le gars que je connais qui *lit* le plus. Son secret ? Il n’a pas la télévision. Mais il a internet et il peut répondre à mes questions sur son activité BD dans cet entretien !
Jim… ton premier scénario, tu l’as écrit à quel âge ?
Jim Lainé : Je sais pas… Les trucs que j’écrivais pour moi et que je dessinais moi-même (genre, des histoires inédites de Goldorak), c’est du 8 ans, genre, peut-être plus tôt… Ah ouais, plus tôt, je pense. Mais bon, disons 8 ans (je repense à mes vieux super-héros à moi que j’avais, c’est vieux). Les premiers comics pour Bajram, c’est du 15 ans, je pense. 15-16. La première mouture d’Omnopolis, c’était pour Lauffray, ça avait un autre titre, c’était genre à 21 ans. C’était du script rédigé, à la main et tout. À Semic, j’ai commencé comme ça, puis j’ai fait des storyboards (sur Ozark), puis je suis revenu aux scripts détaillés quand j’ai acheté un ordi.
Des story-boards ? Ah ouais… c’est parce que tu sais dessiner… tu les poussais loin, tes story-boards ?
Jim Lainé : Pas vraiment. C’est surtout parce que je n’avais pas d’ordi à la maison, que je bossais le soir après le boulot, alors je prenais une feuille, je grabouillais un storyboard rapide qui prenait un quart de la page, et sur les trois autres quarts, je rédigeais mon script. « Case 1 blablabla, case 2 blablabla ». C’est comme ça que j’ai commencé à développer « ma » méthode, qui n’est pas tout à fait académique (enfin, en BD, y a trop rien d’académique…), qui est restée, par la suite…
Je faisais ça sur les Ozark pour Chris Malgrain, par exemple… Ozark, j’ai dû faire une demi-douzaine de scripts comme ça. Après, l’ordi est arrivé à la maison, alors j’ai commencé à scripter sur écran, et donc à peaufiner la méthode… Et j’ai laissé les storyboards. Je faisais ça parce que, puisque je dessine un peu, je pouvais visualiser assez vite ce que je voulais. C’est pratique, la communication passe plus vite. Mais bon, c’est un peu chiant, et puis, les dessinateurs sont tellement bons en général qu’ils n’ont pas besoin que je fasse le boulot à leur place. Mais ça m’arrive encore de le faire. Quand ça coince, quand ils n’ont pas d’idées, ou quand ils veulent gagner du temps. Je ne suis pas convaincu que ça en gagne vraiment : Pat Dumas, sur Le Cavalier Maure, quand je lui fais un storyboard, il change plein de trucs, et c’est nettement meilleur après…
D’ac. Et niveau références, tu bombardes ton dessinateur de visuels ou tu lui laisses un peu de champ libre, quand même ?
Jim Lainé : Non, je ne bombarde pas. C’est plutôt quelques références de films, de BD, des trombinoscopes d’acteurs… Pour Le Cavalier Maure, j’ai un peu surfé sur le net pour trouver des images de Grenade ou d’Algésiras (mais Pat Dumas est meilleur que moi), je lui ai fait un colis avec plein de photocopies tirées de bouquins d’Histoire… Pour les histoires courtes avec Zaitchick, je renvoie souvent à des acteurs et des actrices, genre « tiens, pour ce personnage-là, je pense à Harrison Ford, et pour ce personnage-ci, cherche des images de Gina Gershon« .
Pour Mickey à Travers les Mondes, c’est un peu différent : on renvoie à des références culture pop, des films de SF, des comics. Et comme Gonzalez a un peu les mêmes références que nous, ça coule tout seul. Comme je suis dans des univers de fiction (SF, fantasy), j’ai souvent une plus grande liberté, dont profitent les dessinateurs. En revanche, pour des histoires « historiques », comme La Capitale des Ruines dans Pif-Gadget, j’ai effectivement fait un gros paquet que j’ai faxé et envoyé à Luciano Bernasconi : des photos de Saint-Lô, des copies de tracts de l’époque, tout ça…
D’accord. Et quand ça ne te convient pas ? Quand le travail du dessinateur ne colle pas à ce que tu avais en tête ? Tu le renvoies à ses crayons ou tu es plutôt du genre compréhensif ?
Jim Lainé : Bah écoute, ce n’est jamais arrivé. En général, les dessinateurs fournissent un boulot nickel. Les seules fois où ça a coincé, c’est sur Omnopolis, des détails oubliés, genre un truc en arrière-plan, ou le visage d’un personnage qui ne correspond pas aux références. Des détails sans importance. Sur La Capitale des Ruines, c’était parfois des attitudes, ou des cases un peu petites ou cadrées bizarrement, si bien qu’il faut décaler une bulle d’une case à l’autre, rien d’insoluble. J’en conclus que soit j’écris avec un talent tel que tout est limpide, soit j’ai affaire à des génies qui se comportent comme des grandes personnes et n’ont pas besoin que je leur tienne la main pour traverser !
En quelques points clés, tu peux nous donner ton secret pour réussir un script efficace ?
Jim Lainé : Non.
Je ne sais pas moi-même.
Tout est affaire de dosage, je pense. Assez de bulles mais pas trop, assez de cases mais pas trop, un petit suspense ou une bonne réplique en fin de chaque planche, pour inciter à tourner la page, des dialogues qui font naturel (là, je préconise de « gueuler » tout haut les dialogues, l’oreille aide à faire le tri).
Après, ma méthode, c’est la méthode de l’entonnoir : je note ce que je veux raconter dans l’épisode, ou dans l’album. Puis après, je note les scènes. Puis je note ce que chaque page contiendra. Puis je note ce que chaque case contiendra… En gros, je vais du plus grand au plus petit, en resserrant à chaque fois.
Ça oblige à réécrire beaucoup, mais justement, les idées s’éclaircissent et s’enrichissent de couche en couche… Ne pas hésiter à utiliser les silences ou les répétitions. ça aide à caractériser. Ne pas décompresser, mais au contraire densifier ! Et puis, acheter la collection des Manuels de la BD, chez Eyrolles, avec plein de bons tuyaux pour apprendre un merveilleux métier.
Merci Jimbo pour ces éclaircissements.
Le troisième volume des Manuels de la BD vient tout juste de sortir. Il est consacré au story-board, justement. S’il est aussi intéressant que ses deux prédécesseurs (La création d’un univers de fiction et L’écriture du scénario), je peux vous dire que c’est un achat indispensable !