Stephen King préfère écrire ses romans sans synopsis préalable. Il considère qu’il n’invente pas une histoire mais qu’il la déterre, un peu comme un archéologue déterre patiemment un fossile ou les ossements d’un dinosaure.
Pour King, l’utilisation d’un synopsis équivaut à l’usage d’un marteau-piqueur sur un chantier archéologique. Oui, on va obtenir quelque chose… mais ça va se voir. Son argument principal, c’est tout simplement que la vie – la vraie vie – ne suit pas un synopsis. Elle se déroule au fur et à mesure et les vrais gens virent leur vie comme on déroule une pelote de laine, sans forcément savoir ce qu’il y a au bout (pas grand-chose, si c’est une pelote normale, j’imagine).
Pourtant, à mon avis, c’est inexact. Ma vie, comme celle de la plupart de mes concitoyens, a bel et bien suivi des rails. Je suis né dans une clinique. J’ai été élevé par des parents. Avec des frères et sœurs. Je suis allé à l’école. Je suis allé à la piscine. J’ai joué au football. Au Monopoly. J’ai eu mon bac. Je suis sorti en boîte de nuit. Je me suis marié. J’ai eu des enfants. J’ai acheté une maison avec jardin. J’ai une voiture (qui aime les rambardes). Et à la fin, je serai mort.
C’est pas un synopsis, ça ? Bien sûr… mais ces quelques phrases décrivent la vie de centaines milliers de gens. Probablement plus mais là n’est pas la question. Mon propos, c’est que le cheminement de nos vies obéit bel et bien à un modèle. À une structure pré-établie.
Et si la vie elle-même suit un guide, pourquoi un scénario de BD ou un roman ne devrait-il pas faire de même ? Certes, tout l’intérêt d’une histoire est justement dans le fait qu’elle s’éloigne des sentiers battus. Mais nous trouvons nos propres vies tout à fait intéressantes, alors que nous en connaissons le déroulement et la conclusion plus ou moins à l’avance. Le véritable intérêt de toute aventure, c’est peut-être bien la quête elle-même, plus que son objet.
Ce qui me plaît le plus dans les histoires de Stephen King, ce sont les interactions entre les personnages. Les situations complexes, la tension qui s’installe. La résolution de l’intrigue, bien souvent (trop souvent ?) laisse à désirer. Mais ça ne m’a jamais dérangé, je m’en rends compte aujourd’hui. Le voyage avec les protagonistes est bien plus plaisant que l’arrivée à destination.
D’ailleurs, si beaucoup se plaignent de la manière dont King termine ses livres, c’est peut-être pour cette raison. Y aurait-il deux types de lecteurs ? Ceux qui préfèrent le chemin et ceux qui préfèrent la fin ? Et de même, il y aurait deux types d’écrivains : ceux qui mettent en scène des personnages et ceux qui mettent en scène un enchaînement de péripéties menant à un bouquet final satisfaisant ?
Je ne sais pas dans quel camp je me situe. J’adore faire vivre mes héros comme je faisais vivre mes Big Jim quand j’étais petit. Pourtant, dans ma façon de travailler, j’ai besoin d’avoir une structure pour écrire. Un début, un déclenchement, des péripéties, un climax, une conclusion. Je veux savoir où je vais. Mais c’est un peu comme partir en balade dans une ville inconnue. On a un plan des rues, des musées, des endroits pittoresques… mais si on a envie de s’arrêter manger une glace et de finir à l’hôtel, on a le droit.
Ce n’est pas parce qu’on une idée de l’endroit où on va qu’on est obligé d’y aller. À mon avis, un scénario ou un roman, c’est pareil. C’est mieux de savoir où on va. Et si on n’y va pas à la fin, c’est que l’histoire a trouvé le moyen de surprendre son auteur, ce qui est sans doute bon signe pour les futurs lecteurs.