Je connais Nick Meylaender depuis la fin de Climax Comics, un studio associatif qui a publié une bonne cinquantaine de fanzines dans le style des comics américains. Il en avait marre de bosser dans le jeu vidéo et il voulait faire de la BD. Il a fait partie des premiers gars à bosser en pro pour le studio MAKMA. Récemment, alors qu’il vient – paradoxalement – de replonger dans le jeu vidéo pour l’adaptation de Lanfeust, Nick a écrit le manga Exécutrice Women pour la collection Shogun des Humanoïdes Associés. Pour fêter l’événement, je lui ai proposé de répondre à quelques questions.
Salut Nick, tu nous pitches Exécutrice Women en une phrase ?
Nick Meylaender : C’est l’histoire de quatre copines qui vont devoir magouiller grave pour réussir leurs carrières et concrétiser leurs histoires amoureuses. Voire pour sauver leur peau. Ça fait deux phrases, ça ira quand même ?
C’est comme ça que tu l’as pitché à Guillaume Dorison pour la collection Shogun ?
Nick Meylaender : Non. Le pitch, c’était : « les aventures et mésaventures teintées d’humour noir de quatre jeunes trentenaires amies d’enfance qui sont peu à peu amenées à commettre des délits et des crimes pour affirmer leurs carrières et leurs identités de femmes indépendantes ».
Accompagné d’un bref descriptif, puis du résumé de ce qui allait arriver à chacune des filles. Un doc de deux pages, quoi. Sauf que, depuis, j’ai rajeuni les filles. Malheureusement, ce pitch a été utilisé dans la preview de Shogun #1 et semble être resté depuis. Alors que tout le monde le sache, c’est des vingtenaires, pas des trentenaires ! Mais je savais que Guillaume cherchait un projet de ce genre, donc c’est quasi du sur mesure. En fait, j’ai peut-être bien balancé un premier épisode de 40 pages avec, ce qui fait qu’il a pu juger sur pièce.
Tu as rajeuni les filles… pourquoi ?
Nick Meylaender : Pour correspondre au public manga adolescent, cible de Shogun Mag. Trente ans, pour eux, c’est vieux. Ça l’était aussi pour moi quand j’étais ado. Ceci dit, je les ai juste rajeunies de 5-6 ans, elles sont mid-vingtenaires, quoi. C’était vraiment une question de ciblage, mais je pense que la série plaira à tous les âges, l’idée est avant tout de raconter les aventures délirantes de quatre nanas délurées, point. Leur âge, on s’en fout. Même si effectivement, j’envisage de faire passer la crise de la trentaine à l’une d’elles… mais c’est pas pour tout de suite.
En fait, tu avais formulé un pitch pour répondre à une demande et tu as affiné le projet pour coller davantage aux souhaits de l’éditeur.
Nick Meylaender : Exactement. Et je pense qu’il n’y a pas de mal à le faire, ça fait partie du métier de scénariste, savoir répondre à la demande.
Tu as prononcé le mot. « Métier ». Alors, parlons-en. Toi, ton métier, au départ, c’est scénariste de jeu vidéo ?
Nick Meylaender : Ben, si on part vraiment au tout départ, je voulais être dessinateur. J’ai dû faire ma première BD quand j’avais 5-6 ans (pour les présidentielles de 74, en fait). C’est le métier que j’ai rêvé d’exercer toute mon adolescence. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que ce qui me plaisait vraiment, c’était l’écriture : raconter des histoires. Si je les illustrais moi-même, c’est tout simplement parce que je n’avais aucun dessinateur sous la main. Puis il m’a bien fallu aussi me rendre à l’évidence, le niveau de dessin en BD s’est sacrément amélioré ces dernières années et je ne faisais plus le poids. Après, c’est des concours de circonstances. J’ai postulé comme infographiste dans une boîte de jeux vidéos, Psygnosis, filiale de Sony, qui s’apprêtait à faire l’adaptation en jeu de La Cité des Enfants Perdus de Jeunet et Caro pour le lancement de la Playstation. Et lors de l’entretien, quand j’ai dit que j’écrivais des scénars, ils m’ont proposé d’écrire l’adaptation du film. Je l’ai fait, ils m’ont embauché comme junior producer (scénariste, ça n’existait pas dans la profession), et c’est comme ça que j’ai commencé à travailler dans les jeux.
Mais mon boulot va plus loin que la simple scénarisation, j’écris certes l’histoire et les dialogues, mais je fais aussi les story-boards, la direction d’acteurs pour les enregistrements de voix ou lors de sessions de motion capture, la localisation, des characters designs, du game design, du suivi du son… bref, plein de trucs qui vont plus loin que le simple métier de scénariste.
Le plus drôle, c’est que les gens qui me connaissent de longue date me voient toujours comme un dessinateur. Beaucoup pensent que c’est moi qui dessine Exécutrice Women quand je leur montre le projet (alors que je n’arrive pas à la cheville de David Boller et que mon style n’a rien à voir). Et bien sûr, quand je leur dis que je fais le scénario, ben j’ai droit au commentaire habituel, « ah, c’est toi qui mets le texte dans les bulles ? »…
Tes copains, tu leur pitches tes projets pour tester leur impact ?
Nick Meylaender : Ça fait relativement peu de temps que je côtoie des scénaristes et des auteurs donc, avant, je me contentais de servir la BD finie (enfin, « story-boardée ») à mes potes lecteurs. Mais maintenant que j’ai des potes scénaristes, ouais, je leur parle de mes projets, mais plutôt quand je suis en train de les élaborer, pour avoir des avis, échanger des idées. Mais pas pour tester leur impact.
Personnellement, c’est le contenu et le traitement qui m’intéressent, et je crois que le meilleur pitch du monde ne pourra jamais dire comment l’histoire est construite. Alors du coup, c’est dur pour mes potes scénaristes qui doivent se coltiner tout le scénar ou le story-board quand je veux leur avis.
Tu ne crois pas au pouvoir persuasif du pitch ?
Nick Meylaender : Si le contenu est de la merde, ça reste de la merde, même si le pitch est de la mort.
Ouais mais… un bon scénariste, il peut faire de la merde avec un pitch de la mort ?
Nick Meylaender : Bien sûr. On n’est jamais à l’abri de commettre une bouse, même si on est le plus grand auteur de tous les temps. On peut tous gâcher une super bonne idée, par exemple, parce qu’on a mal évalué le sujet… ça rejoint une discussion qu’on a eue sur la recherche de doc, où mon approche à moi est de me blinder en documentation et en prises de notes avant d’attaquer le cœur du sujet. Bien évidemment, je sais déjà ce que je veux raconter, mais parfois, l’histoire évolue selon les découvertes que je fais), et une fois que je suis bien rassuré, tout content avec toute ma doc, je pose le résumé avec un pré-découpage ou le script ou le story-board, ça dépend du feeling, de l’emploi du temps, de la motivation, du nombre de projets en cours mais je crois avant tout que ça dépend du feeling. Le pitch, c’est souvent le truc que je fais en dernier (en même temps, ça semble logique, non ? Chaipas. Mais la vérité, c’est que j’aime pas écrire des pitches, voilà, j’avoue. Je suis vraiment meilleur à l’oral. Mais toi, ton approche est plutôt différente, non ?
J’adore écrire des pitches, ouais. Mais c’est de toi qu’on parle, l’artiste. Alors… est-ce que tu peux me donner tes meilleurs conseils pour écrire un script béton ?
Nick Meylaender : Pour paraphraser Gabin qui paraphrasait peut-être quelqu’un d’autre, je dirais « premièrement, une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire, troisièmement, une bonne histoire ». Et puis je rajouterais qu’il faut savoir dans quoi on marche. Qu’est-ce que tu veux que je te dise de plus ?
Eh bien, ça ira pour cette fois !
Retrouvez Nick pour une anecdote à propos de sa série Exécutrice Women que vous pouvez lire chaque mois dans Shogun Mag.