Alors : annuler ou interrompre ? Comment parler d’une série dont les commanditaires cessent la production ? On annule pas une série TV : on l’interrompt. Ou on l’arrête. On y met fin. Mais on ne l’annule pas. C’est un anglicisme !
L’incursion croissante d’anglicismes dans la langue française est plus qu’un simple phénomène de mode ; c’est le symptôme d’un appauvrissement culturel et linguistique qui nous guette si nous n’y prenons pas garde. Ce n’est pas simplement une question de terminologie ; c’est une manifestation de l’influence grandissante de la culture anglophone sur la nôtre, au détriment de la richesse et de la nuance de notre propre langue.
La richesse de la langue française mérite mieux
Le français possède une richesse grammaticale et un arsenal de conjugaisons qui permettent d’exprimer des nuances très précises. Quand cette complexité est érodée, que ce soit par la simplification excessive ou par l’adoption non critique d’anglicismes, nous perdons un outil essentiel pour la pensée complexe et critique. De même, l’élimination progressive de certaines formes verbales et le relâchement de la grammaire et de la ponctuation ne sont pas de simples évolutions linguistiques ; ce sont des régressions.
Dans le domaine éducatif, il est alarmant de voir que certaines initiatives appellent à simplifier l’orthographe et la grammaire pour les rendre plus « accessibles ». Mais à quel prix ? C’est oublier que l’exigence et la complexité ont leur raison d’être. Elles forment le terrain d’entraînement de l’esprit. Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel, ou comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur ?
Les implications sont également sociétales. L’incapacité à mettre des mots précis sur les émotions ou les idées peut contribuer à une montée de la violence et de l’incompréhension mutuelle. Il y a un lien entre la pauvreté du langage et certaines formes de comportement agressif. Sans mots précis pour articuler la pensée, comment espérer résoudre des conflits de manière constructive ?
Annuler ou interrompre : les mots ont un sens !
Dans le climat social actuel, le terme « annuler » est devenu un véritable mot d’ordre pour ceux qui cherchent à effacer des personnalités ou des idées de l’espace public. Or, ce terme n’est pas anodin. « Annuler » implique une négation totale, un effacement comme si la cible de cette annulation n’avait jamais existé, n’avait jamais apporté de contribution, qu’elle soit positive ou négative. C’est un déni de l’histoire et du parcours individuel, une manière de raser tout ce qui ne correspond pas à un idéal prescrit.
En revanche, le terme « interrompre » a une toute autre connotation. Interrompre, c’est mettre un terme à une action ou à un comportement spécifique, mais ça ne raye pas de la carte l’ensemble de l’existence ou des contributions d’une personne. C’est une action mesurée, réfléchie, qui laisse la place à la nuance et à l’évolution.
L’emploi du verbe « annuler » dans le contexte de la cancel culture est donc extrêmement révélateur. Il reflète une volonté non seulement de punir, mais d’éliminer complètement, de rendre invisible et de supprimer toute possibilité de dialogue ou de rédemption. C’est une approche qui nie la complexité humaine, l’évolution possible des idées et des attitudes. Elle crée un environnement où la peur de dire ou de faire « le mauvais choix » peut inhiber la pensée critique, la discussion ouverte et, en fin de compte, la liberté d’expression.
Bref, entre annuler ou interrompre, le choix est vite fait. Il est de notre devoir de prendre au sérieux ces régressions et de les combattre vigoureusement. Cette mission commence par une éducation rigoureuse, qui ne cède pas aux sirènes de la simplification et qui valorise la richesse et la précision du français. À défaut, nous risquons de nous retrouver dans un monde appauvri, où la langue ne sert plus à explorer la complexité du monde, mais à la masquer.