La bande dessinée japonaise, plus connue sous le nom de manga, a vu sa popularité exploser en France ces dernières décennies. Cependant, une question persiste : la traduction de ces œuvres doit-elle s’efforcer de maintenir le « japonisme » original ou adapter la culture pour mieux plaire au public français ?
Traduction : un pont entre deux cultures
L’avènement du XXIe siècle a vu une explosion de la culture asiatique en occident. Le cinéma coréen a reçu un accueil chaleureux, et le manga japonais est devenu un élément incontournable de la culture populaire française. Derrière ce mouvement culturel se trouve un acteur souvent négligé mais vital : le traducteur.
La traduction, loin d’être un phénomène global orchestré par des entreprises transnationales, est un processus local impliquant des agents sociaux luttant pour la reconnaissance au niveau national. Le succès du manga en France en est un excellent exemple.
La traduction des mangas a servi de pont culturel, introduisant les œuvres nippones au public français. Mais ce n’était pas seulement une question de conversion linguistique : c’était aussi un moyen pour les jeunes professionnels de promouvoir la bande dessinée japonaise en France.
Toutefois, cette entreprise de traduction n’a pas été sans défis. Les traducteurs ont dû naviguer entre le désir de maintenir l’exotisme du manga, manifesté par ses termes uniques et son sens de lecture inversé, et la nécessité de rendre le contenu accessible et attrayant pour le public français.
L’ère numérique : Internet et mondialisation de la bande dessinée japonaise
L’ère numérique a introduit de nouvelles dynamiques. Le réseau internet a facilité la synchronisation des agendas médiatiques à travers les différents territoires, permettant une diffusion plus large de traductions pirates non officielles, souvent réalisées par des fans maîtrisant mal leur propre langue, le français. Ces versions « exotiques », remplies de notes sur la culture japonaise, ont persisté à côté des traductions plus « domestiquées », publiées et vendues en librairie, c’est-à-dire payantes, et systématiquement en retard par rapport à la version illégale gratuite et pleine de fautes disponible sur les sites de téléchargement de « scans ».
La traduction est donc devenue un enjeu à la fois économique et symbolique. Les professionnels de la traduction ont lutté pour être reconnus en tant qu’auteurs, travaillant pour légitimer le produit culturel sur lequel ils se concentraient.
Exotisme contre domestication
Pour mieux satisfaire notre public national acculturé aux traductions truffées de japonismes au français approximatif, devrions-nous maintenir l’exotisme original du manga ou l’adapter ? Certains ayatollahs de l’exotisme préfèrent « Kame Sennin » à « Tortue Géniale », arguant que c’est plus fidèle à l’œuvre originale. De mon point de vue, c’est surtout plus stupide. Si les adeptes du « scantrad » veulent des termes japonais à tire-larigot dans leurs mangas, qu’ils apprennent à lire la langue originale, et laissent tranquille les lecteurs francophones !
Les ayatollahs de l’exotisme risquent de nous faire perdre de vue l’objectif principal de la traduction : faciliter la communication et l’immersion dans la lecture. Lorsqu’un lecteur parcourt une bande dessinée, il ne devrait pas être interrompu par des notes de bas de page expliquant des termes japonais. Il ne devrait pas se demander pourquoi un personnage parle japonais. Les personnages devraient parler la langue du lecteur. Une bonne traduction de BD est celle qui est invisible, celle qui permet au lecteur de se perdre dans l’histoire sans se rappeler qu’il lit une traduction.
Finalement, la traduction devrait être une fenêtre transparente sur un autre monde, et non un miroir qui reflète constamment sa propre image « exotisée ». Nous devons dire non aux ayatollahs de l’exotisme et oui à une traduction de manga qui honore à la fois la culture originale et le confort de lecture du public. Non à « Kame Sennin », oui à « Tortue Géniale » !