J’adapte des BD américaines depuis 2001, et figurez-vous qu’avant d’y arriver, je ne m’étais jamais demandé comment devenir traducteur de comics. Si je n’ai jamais suivi de formation officielle dédiée à la traduction littéraire, j’estime tout de même avoir un riche bagage culturel et opérationnel qui justifie pleinement mon activité. J’ai appris à lire très tôt, et dès l’âge de cinq ans, je me régalais des aventures des X-Men dans Spécial Strange. Puis j’ai commencé à lire mes comics en anglais à partir de 13 ans. Autant vous dire qu’au moment de passer le bac, je me débrouillais plutôt correctement (18/20). Et quand j’ai commencé mon activité de traducteur de comics professionnel, je n’avais certes pas Bac+3 en langue anglaise, mais j’avais plus de vingt ans de lecture passionnée derrière moi.
Suffit-il de lire en version originale pour devenir traducteur de comics professionnel ?
Bien évidemment, ce n’est pas parce que vous lisez vos Fantastic Four ou vos Avengers dans la langue de Shakespeare que ça fait de vous un véritable traducteur de comics américains. Loin s’en faut. En effet, contrairement à ce qu’on pourrait croire de façon intuitive, la qualité première de tout bon traducteur littéraire, c’est sa maîtrise de la langue cible. En d’autres termes, même si vous comprenez parfaitement tout ce que vous lisez en anglais, la différence va se jouer dans votre façon d’utiliser le français.
Et là, je suis très sérieux. Vous avez le droit de violer le français dans vos dialogues de BD, mais pour bien transgresser les règles, il faut les connaître. Bref, si vous sautez une négation, c’est votre droit, mais vous devez savoir ce que vous faites. Si vous appliquez une syntaxe fautive pour souligner le manque d’éducation d’un personnage, c’est très bien. Mais si vos textes sont truffés d’erreurs de grammaire parce que vous ne la maîtrisez pas vous-mêmes, comment voulez-vous qu’un éditeur puisse se regarder en face quand il commande au lettreur plusieurs centaines de corrections sur votre traduction ?
La première marche, elle est là : est-ce que votre français est impeccable ? J’évolue dans le milieu de la bande dessinée depuis plus de vingt ans, et je peux vous garantir que si vous maîtrisez parfaitement votre propre langue, vous aurez déjà fait la moitié du chemin. Je reçois environ un CV par semaine de quelqu’un qui voudrait devenir traducteur de comics professionnel chez MAKMA. Quel est mon premier test pour savoir si je garde le CV ou si je le jette avec une réponse polie ? Le français, pardi.
Grammaire, orthographe et typographie : la base pour devenir traducteur de comics
En plus des règles syntaxiques de la langue française, vous devez également connaître les règles typographiques. Faut-il mettre l’espace avant ou après la virgule ? Est-il nécessaire d’accentuer les majuscules ? Doit-on mettre une cédille au mot « ça » quand il commence la phrase ? Est-ce que « trois petits points », ça équivaut aux points de suspension ? Quand faut-il utiliser des espaces insécables ? Toutes ces règles de typographie sont finalement assez peu nombreuses. Et ne pas les connaître est une faute professionnelle que vous ne devez pas commettre, et ce dès vos premières démarches de prospection.
Vous devez donc maîtriser votre langue (le français), et être capable de l’écrire de manière irréprochable. C’est non négociable. En tout cas, pour traduire des comics de l’anglais vers le français. La concurrence est trop grande. Entre deux traducteurs qui ont sensiblement les mêmes diplômes ou la même expérience, la même culture, il est clair que c’est toujours celui qui est capable d’écrire correctement qui sera embauché. En effet, pourquoi payer quelqu’un qui ne maîtrise pas le français quand on peut en avoir un autre qui rendra des textes sans erreurs ? Il ne s’agit pas de traduire une langue exotique où l’offre et la demande sont beaucoup plus tendues, et où vous pouvez vous permettre des approximations parce que le marché a besoin de vous. La traduction anglais-français est un axe très concurrentiel où il n’y a aucune place pour l’à-peu-près, sauf si vous êtes copain avec l’éditeur, bien sûr.
Devenir traducteur de comics en bossant votre réseau
Vous faites peut-être partie de ces gens qui s’imaginent qu’un boulot va leur tomber tout cuit dans la bouche parce qu’ils ont un diplôme. Si c’est le cas, j’espère que vous n’êtes pas pressés de gagner votre vie. Parce que dans le milieu de la traduction de comics, il faut se lever le cul pour aller le dégoter, ce boulot.
Comme je vous le disais tout à l’heure, la concurrence est féroce. Tout le monde parle anglais. Ce n’est pas là que vous allez faire la différence. Ce sera éventuellement sur votre culture pop/geek anglo-saxonne, mais ce n’est pas ce qui se voit en premier. En fait, c’est éventuellement cette connaissance de la culture américaine qui vous fera conserver une activité dans la traduction de comics, mais ce n’est pas elle qui vous mettra le pied à l’étrier.
Pour commencer, il faut se créer des opportunités. Il faut se créer un réseau qui les créera pour vous, ces opportunités. Et pas un réseau de potes lecteurs de comics ou commentateurs sur les réseaux sociaux. Bien sûr, c’est toujours mieux que rien, mais je parle d’un réseau de contacts qui sont des professionnels du milieu que vous voulez intégrer.
Eh oui : dans la traduction de comics, ça marche exactement comme dans la vie. Il faut connaître des gens qui connaissent des gens.
Un stage pour rencontrer des professionnels du comic book
Il y a plusieurs façons de procéder. La première marche essentiellement si vous êtes encore assez jeune pour être étudiant, et si vos études exigent que vous réalisiez un stage en entreprise. Dans ce cas, le plus simple est de trouver une boîte qui vous acceptera, et au sein de laquelle vous pourrez faire vos preuves.
J’ai recruté bon nombre de traducteurs et de traductrices après un stage concluant au sein du studio MAKMA. Parmi les plus anciens, je pense par exemple à Mathieu Auverdin, qui a notamment signé l’adaptation des derniers League of Extraordinary Gentlemen chez Panini, ou un peu plus proche de nous, à Benjamin Viette (Green Lanterns chez Urban Comics) ou Camille Gardeil (Malcolm Max chez Delcourt). J’ai également recruté Sarah Grassart, après avoir fait sa connaissance sur le salon Japan Expo où elle travaillait sur le stand des éditions Kotoji.
Aujourd’hui, la législation interdit aux entreprises d’accueillir des stagiaires non rémunérés pour une durée dépassant deux mois. Êtes-vous capables de prouver votre valeur en huit semaines ? Si ce n’est pas le cas, c’est bien dommage. Parce que souvent, il ne me faut pas plus de quelques jours pour savoir si j’ai envie de continuer à travailler avec quelqu’un à l’issue de son stage. Vous, votre boulot de stagiaire, c’est de me convaincre de faire appel à vous comme pigiste dès la fin de votre passage chez nous. Et c’est valable pour n’importe quelle structure professionnelle qui voudra bien vous accueillir ! Comment devenir traducteur de comics ? En vous retroussant les manches et en vous mettant au boulot !
Le fanzine, véritable école de la BD
Peut-être avez-vous déjà terminé vos études, et vous retrouvez-vous bardé de diplôme avec un joli CV mais pas de réseau exploitable dans le milieu que vous visez ? Rassurez-vous, il n’est jamais trop tard. Je n’ai moi-même fait aucun stage dans le milieu de l’édition de comics. En revanche, je me suis créé mon stage bénévole tout seul, si on peut dire.
En 1999, j’avais 25 ans lorsque j’ai fondé une petite structure associative avec un ami : Climax Comics, un studio amateur qui éditait des fanzines. Nous réalisions nous-mêmes nos propres BD de super-héros en noir et blanc. Je les photocopiais et les massicotais, avant de les glisser dans les enveloppes pour les poster à nos abonnés. Chaque exemplaire était tiré entre 100 et 200 exemplaires environ. Ce qui n’était pas distribué via nos abonnements était vendu sur les festivals BD que nous écumions avec notre joyeuse bande d’auteurs (on parle ici de l’ancêtre de ce qui est devenu MAKMA). Et c’est là que je veux en venir.
Au-delà de l’expérience indéniable que j’accumulais en auto-éditant ces dizaines de fanzines, je rencontrais beaucoup d’acteurs de ce milieu de la BD professionnelle lors de chaque salon où nous allions exposer avec l’association Climax. Et quand mon nom a été soufflé à l’oreille des gens de Semic pour un test de traduction, j’avais déjà été identifié par l’équipe comme le scénariste de la série parodique Zéro-Force, avec qui ils avaient discuté et bu des coups sur divers festoches. Et mine de rien, c’est le genre de détail qui font qu’un CV peut atterrir en haut de la pile : voilà comment devenir traducteur de comics, haha !
Insérez-vous dans le comics game français
Avant même de créer Climax, j’étais encore étudiant en maîtrise de communication sociale. Je travaillais sur mon mémoire, consacré aux communautés virtuelles (je vous parle d’un temps où les réseaux sociaux n’étaient encore qu’une lueur torve dans l’œil de Mark Zuckerberg), et j’étais inscrit sur FAO : Fin-Addicts Online, la mailing-list des fans du Savage Dragon. Mine de rien, sur ce groupe de lecteurs, il y avait un paquet de futurs professionnels du milieu (dessinateurs, encreurs, éditeurs). Parmi eux, j’en citerai un : Jérôme Wicky, mon traducteur de comics favori. Ce mec est un génie.
Bref. J’ai donc rencontré Jérôme en ligne avant de le croiser dans la vraie vie. On a eu le temps de bien devenir copains. Il a fait son bout de chemin en terminant ses études et en s’installant à Paris pour travailler comme traducteur… dans une agence de presse. Mais il faisait des piges pour Semic. Si le détail de cette histoire viendra dans un autre article, toujours est-il que c’est lui qui a soufflé mon nom chez cet éditeur. Et c’est donc en partie grâce à lui que Thierry Mornet et Jeff Porcherot m’ont confié ma première trad (The Creech). Peu de temps après, Jim Lainé, toujours dans la même boîte, me confierait l’adaptation de La Mort de Superman. J’étais dans la place.
Vous ne savez jamais qui va vous ouvrir la porte du bizness qui vous fait rêver. Et c’est valable pour tous les métiers, d’ailleurs. Alors soyez vous-mêmes, soyez cool et soyez bons.
Formez-vous et rendez-vous indispensable !
S’il n’est plus temps d’être stagiaire et si vous n’allez jamais sur les conventions de comics, votre avenir repose sur votre CV. Comme je vous l’ai dit, votre diplôme ne suffira pas. Votre qualité de langue non plus, a priori. En revanche, si vous savez faire quelque chose d’utile dans la BD, ça peut vous ouvrir des portes.
Par exemple, peut-être que vous savez utiliser InDesign, auquel cas on pourra toujours vous former au lettrage BD, et comme vous serez bilingue et doté d’une bonne culture comics, vous aurez certainement l’opportunité de travailler sur l’adaptation VF d’une bande dessinée, à un moment ou à un autre ?
Ou peut-être que vous êtes doué pour la gestion d’équipe ? Ou vous maîtrisez plusieurs langues qui ont un intérêt dans ce métier (le japonais ou le coréen, par exemple). Tout est possible. Soyez ambitieux : demandez-vous ce que vous pouvez apporter à l’employeur que vous visez, et faites le rêver. Une chose est sûre, c’est à vous de trouver votre voie pour découvrir comment devenir traducteur de comics !
PS : si vous voulez devenir traducteur de webtoons coréens ou de smartoons, MAKMA vous explique comment faire !