Je suis en train de lire 20 Master Plots and How to Build Them, de Ronald B. Tobias : c’est un ouvrage très intéressant sur l’art de construire l’intrigue de votre histoire (roman, film, scénario de BD, à vous de voir). Pour commencer son livre, l’auteur nous propose quelques définitions que je vais reformuler ici.
Nous baignons dans la fiction
Contrairement à ce qu’on pourrait se dire au premier abord, la fiction n’est pas l’apanage des films, des séries TV, des romans ou des mangas. La fiction est partout. Elle nous entoure. On la côtoie au quotidien. La fiction se retrouve dans les rumeurs qu’on colporte, dans les blagues à la mode qu’on se raconte entre amis, dans les anecdotes qu’on enjolive. Dans les mensonges, aussi : les excuses bidon qu’on trouve pour ne pas participer à un déménagement, les vantardises de votre copain mythomane, et j’en passe. Et bien sûr, dans les légendes urbaines qui sont arrivées à l’ami d’un ami d’un ami, si, si, je vous jure !
Contrairement à la vraie vie, la fiction – surtout la fiction moderne – tolère assez mal le chaos. La fiction d’aujourd’hui préfère l’ordre au désordre : toujours, la logique doit primer. Pourtant, dans la vraie vie, on s’accommode très bien de tout ce qu’on ne peut pas expliquer ou justifier. Le hasard y intervient en permanence. Mais pas dans la fiction. On attend que chaque chose qui se déroule sous nos yeux soit la conséquence d’une action qu’on nous aura montrée au préalable. Notre cerveau a soif de causalité.
L’unité d’action de votre intrigue
Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, ça ne fait pas de mal de le répéter ici : votre histoire doit avoir un début, un milieu et une fin. Merci, merci. Gardez vos applaudissements pour la fin de cet article. Le début de l’histoire nous présente le problème qui doit être réglé, ainsi que les personnages principaux, leurs désirs et leurs besoins. Le milieu raconte les actions qui découlent du début (je vous avais dit qu’on allait en enfoncer, des portes ouvertes) en suivant une relation de cause à effet. On n’est pas obligé de nous la fourrer sous le nez, mais la causalité est clairement attendue à ce niveau. Ces actions doivent autant que possible s’articuler autour de plusieurs renversements de situation avant de déboucher sur la fin de l’histoire, via le sas du point culminant de votre récit (le climax). Point important : c’est toujours le protagoniste (le héros de l’histoire) qui doit accomplir l’action principale du climax. Pas l’antagoniste ni un personnage secondaire. Sans ça, votre récit sera bancal. Et votre protagoniste sera réduit au rang de spectateur de sa propre histoire. C’est déjà triste quand ça arrive à quelqu’un dans la vie, alors imaginez un peu si ça arrive à un héros de fiction…
Avec la fin de l’aventure, on assiste à ce qu’on nomme le dénouement : tous les fils de l’histoire débouchent quelque part. Alors si un événement se produit, vous devez veiller à ce qu’il s’inscrive correctement dans le projet et à ce qu’il fasse avancer l’histoire. Sinon, même si la scène est cool et bien écrite, il faudra l’éradiquer sans pitié. Lors de la conclusion, chaque question a sa réponse, et tout prend son sens. Pourtant, le rôle de l’auteur de fiction est de maquiller les relations de cause à effet, pour éviter que la conclusion de l’histoire ne soit téléphonée et qu’on reproche au scénario d’être cousu de fil blanc. Pourtant, comme on l’a dit plus haut : dans la fiction, rien n’arrive par hasard. Pas de coup de chance, pas de miracle, pas de deus ex machina. Une des difficultés du rôle de l’écrivain consistera donc à bâtir une intrigue dont les éléments seront liés par des relations de cause à effet qui devront être dissimulées, mais présentes quand même. Ouah.
L’intrigue est un processus
L’intrigue d’une histoire n’est pas à proprement parler un squelette sur lequel vient se fixer la chair d’une histoire. L’intrigue d’une histoire est surtout un processus, et non un objet fixe. Si on doit rester dans la métaphore du corps humain, disons que l’intrigue est son système nerveux. L’intrigue n’est pas statique : elle est dynamique. L’intrigue est comme une force qui attire à elle et agence les éléments du langage. L’intrigue pose les questions et aide à y répondre. Et comme vous le savez : plus les questions sont bonnes, meilleures sont les réponses : qui, quoi, comment, pourquoi ?
Avec les personnages, l’intrigue est l’un des deux composants essentiels d’une bonne histoire. C’est leur effet cumulé qui crée l’histoire, leur interaction qui fait que la réaction chimique va fonctionner. L’intrigue est comme le mode d’emploi du comportement humain (au moins du comportement de vos personnages).
Vis-à-vis du lecteur ou du spectateur
L’intrigue d’une histoire, pour le lecteur d’un roman ou le spectateur d’un film, nécessite une capacité de mémorisation, d’analyse et de projection, alors qu’une simple histoire (par rapport à une intrigue, suivez un peu) ne demande qu’un peu de curiosité : qu’est-ce qui se passe après ? L’intrigue exige qu’on se souvienne des éléments pour anticiper d’éventuels liens de cause à effet, alors que l’histoire n’est qu’une succession d’événements : il se passe ceci, puis cela, et après il se passe ça, etc. Et peu importe pourquoi : on ignore s’il y a une causalité entre les événements qui s’enfilent les uns à la suite des autres comme des perles sur un collier.
« Les parents de Bruce Wayne ont été assassinés. Plus grand, il est devenu Batman. » C’est un enchaînement sans plus d’informations causales. Il n’y a pas d’intrigue, c’est la description des faits. « Les parents de Bruce Wayne ont été assassinés. Plus grand, il est devenu Batman pour éviter que d’autres crimes de ce genre ne se reproduisent à Gotham. » Là, on a une intrigue. L’intrigue répond à la question « pourquoi ? ».
Le carburant de l’intrigue
La tension entre le protagoniste et son environnement est le véritable carburant de l’intrigue. Sans tension, votre soufflet tombe à plat. Cette tension est mise en place via l’opposition qui fait face au personnage principale, notamment grâce à son antagoniste (ennemi, rival, compétiteur). Et comme pour des enchères qui montent, la tension doit aller croissant avec l’opposition. C’est l’effet cumulé des différentes oppositions rencontrées par le protagoniste qui va donner une tension maximale à votre intrigue.
La tension, c’est la différence de potentiel entre deux états (oui, figurez-vous que j’ai étudié en fac de science avant de devenir scénariste et traducteur). Et cette tension permet justement la mise en œuvre du véritable sujet de l’histoire : le changement du protagoniste. En effet, à la fin de l’histoire, le personnage principal, acteur du climax, doit avoir évolué.