Suite et fin de mon entretien avec le grand Alex Nikolavitch à propos de son érudit essai sur les super-slips face à la mythologie.
EFDLT : Finalement, dans Mythe & Super-héros, tu dévoiles plus ou moins la recette pour créer une équipe de super-héros réussie, alors ?
Alex Nikolavitch : La recette, peut-être pas, mais je montre ce qui marche et ce qui marche moins. Je devrais créer une équipe de super-héros de but en blanc, je serais sans doute très emmerdé. Je retomberais probablement sur des clichés X-Manoïdes. La plupart des équipes qui ont fonctionné d’emblée utilisaient des personnages préexistants. Les X-Men n’ont pas fonctionné au départ, d’ailleurs. Il a fallu attendre les années 70 pour que le titre soit un vrai succès, au moment où il a fait le tri, collé certains anciens X-Men à des personnages récupérés à droite et à gauche (Sunfire, Wolverine, Banshee), les nouveaux personnages étant minoritaires dans le mix, ou vite éliminés. Cela permettait d’avoir dès le départ une dynamique avec ceux qui savaient et ceux qui étaient candides. Sinon, la JLA, les Titans, les Avengers, ou même Authority, ce sont à chaque fois des personnages ou des concepts préexistants.
Pour simplifier, je dirais qu’il serait plus facile de créer un groupe avec, mettons, Hellboy, Marv, The Mask, Grendel et Barb Wire (pour regrouper des personnages publiés chez un même éditeur, ici Dark Horse) que d’essayer de faire fonctionner le même groupe en inventant un personnage de démon à la Hellboy, un perso de gros dur à la Marv, un trickster fou furieux à la The Mask, etc.
On pourrait citer Watchmen en contre exemple (tous les personnages sont des démarquages des héros Charlton, the Question, Peacemaker, Captain Atom, etc.) mais justement, le groupe en question ne fonctionne pas, et c’est le sujet de Watchmen, cette dysfonction fondamentale. Ou un des sujets, en tout cas.
EFDLT : Parmi ces figures archétypales, est-ce qu’il y en a une qui t’intéresse plus que les autres ? Qui t’inspire pour l’écriture ?
Alex Nikolavitch : Aucune en particulier. Ce qui est intéressant, ce sont les interactions entre archétypes. Ce qui est intéressant, ce n’est ni le maître, ni le disciple, mais la façon dont va se construire la relation, qui est différente dans le cas d’Obi-Wan / Luke et de Merlin / Arthur, par exemple, même si le décorum est quasiment le même (autorité morale, transmission de l’arme paternelle et de la tradition qui l’accompagne, etc.). De même que l’archétype du dictateur malfaisant, Fatalis ou Darkseid, ne devient intéressant que quand on creuse leur contexte, leurs rapports complexes avec leurs adversaires. Fatalis devient immense à partir du moment où il ravale son orgueil pour appeler Reed Richards à l’aide.
EFDLT : Oui, en effet. C’est toujours efficace, ce genre de moment. Pour conclure à propos de ton ouvrage, est-ce que sa rédaction t’a appris quelque chose qui va changer ta manière d’appréhender l’écriture d’un scénario de BD ?
Alex Nikolavitch : C’est plutôt l’inverse, je dirais. Ou en tout cas, c’est un rapport croisé : mon approche de l’écriture a nourri certaines réflexions qu’on retrouve dans le livre, et le fait de mettre à plat toutes ces considérations m’a obligé à les formuler, à les formaliser. D’un autre côté, je me méfie des dogmes, dans l’écriture, des “c’est comme ça qu’il faut faire” assénés comme des vérités incontournables. Du coup, tout ce que je peux raconter sur l’écriture peut tout à fait être contesté et détourné, et c’est très bien comme ça.
EFDLT : Pour la contestation, je ne sais pas mais pour le détournement, tu peux compter sur moi. Merci !