Suite de notre entretien avec Alex Nikolavitch à propos de son ouvrage Mythe & Super-héros publiés en avril 2011 chez les Moutons électriques.
EFDLT : Dans Mythe & Super-héros, tu t’appuies sur les travaux de Georges Dumézil et Joseph Campbell pour souligner les schémas structurels qui semblent attachés aux histoires de héros, qu’ils soient super ou antiques. Il s’agit vraiment d’un invariant ? Peut-on casser cette structure sans risque ?
Alex Nikolavitch : Je m’appuie sur eux parce que ce sont les plus connus et les plus accessibles. Leurs structures ne sont pas invariantes, elles sont juste très répandues et très efficaces. Le schéma de Campbell est celui du voyage initiatique, il ne s’applique pas vraiment à la structure feuilletonnante sans fin des comics. On ne peut le retrouver que dans des narrations de l’origine du héros (et pas toujours, encore) ou dans des situations de crise (Daredevil : Born Again, par exemple), en tout cas de façon ponctuelle.
Les archétypes duméziliens, eux, sont avant tout une articulation de fonctions sociales. Il est normal qu’on les retrouve un peu partout dans les groupes de super-héros, et en général, leur utilisation est totalement inconsciente de la part des auteurs. Qui plus est, d’autres groupes s’en passent très bien, j’évoquais les Fantastic Four (construits sur une symbolique des quatre éléments) ou Authority (ou la structure inspirée de la JLA est complètement reconstruite et subvertie).
Après, casser ces structures, c’est presque un devoir. Mais pour les casser efficacement, c’est bien de les connaître. Quand j’ai fait Tengu-Do, je l’ai construit sur une structure campbellienne rigoureuse. Une partie de la blague tenait au fait que la structure était, dans sa forme, parfaitement respectée. J’y avais juste ajouté un élément qui, à l’arrivée, la retournait et la subvertissait de fond en comble, qui en pervertissait le sens. Mais toutes les étapes y étaient.
Connaître la structure de la triade de Dumézil, c’est poser des réseaux puissants de relations et de dépendances entre les personnages. Changer cette structure, c’est devoir repenser une partie de ces réseaux. Mais après, il ne suffit pas d’empiler des archétypes pour faire un bon groupe de super-héros : j’évoque dans un chapitre le foisonnement des groupes de super-héros aux débuts des Image Comics, dans lesquels on sent bien la volonté de récupérer des archétypes connus (les X-Men, essentiellement), mais sans y réfléchir en profondeur. Résultat, il n’y a guère que dans Gen-13 que ça fonctionnait correctement d’emblée. Sur WildC.A.T.s, il a fallu près de quinze numéros pour que ça commence à ressembler à quelque chose, et encore, au prix d’une redéfinition violente de tout le concept. Sur Stormwatch, c’est passé par l’élimination de plus de la moitié du casting, à l’arrivée de Warren Ellis.
[à suivre]