Même si je le connaissais un peu avant pour l’avoir croisé sur divers salons BD et festivals de comics, je côtoie professionnellement Jim Lainé depuis dix ans. Après avoir lu ses articles dans Scarce, j’ai travaillé directement pour lui quand il était chez Semic. Au fil des discussions que j’ai eues avec lui, son érudition à propos des comics et plus précisément à propos de leurs auteurs me semble un évidence. Souvent, quand j’ai un doute, c’est à Jim que je m’adresse pour avoir une réponse précise.
Et si je m’interroge sur Frank Miller, je peux désormais fouiller dans sa monographie « Frank Miller, Urbaine Tragédie » publiée aux Moutons électriques. Pour souligner la sortie de ce passionnant ouvrage, je vous propose un entretien avec Jean-Marc Lainé, maître ès-comics.
EFDLT : Jim, tu es un érudit et un professionnel des comics mais tu es aussi un scénariste de BD « franco-belge ». Sur ton travail de raconteur d’histoires, quelle a été l’influence de Frank Miller ?
Jim Lainé : C’est complexe, ça. J’en sais trop rien. Il y a des choses que je peux identifier facilement. La voix off, bien entendu, avec sa manière bien à lui de découper les bulles, les paroles, les pensées, en petit fragments qui restituent le flot mental du personnage (un flot parfois bien perturbé, saccadé, haché). Les silences, aussi. Le découpage des scènes d’action. Par exemple, les gunfights dans Daredevil : Born Again, voilà quelque chose qui m’a profondément marqué. Il découpe l’action (même si c’est dessiné par Mazzucchelli) en poussant la bande-son, et les onomatopées deviennent des marqueurs de temps, de rythme. Et du coup, son travail sur le lettrage, sur le rapport entre la case et son commentaire, dans Dark Knight Returns notamment, voilà quelque chose qui m’a appris énormément. Au final, c’est sans doute, aujourd’hui, au niveau du rythme qu’il est très présent, en tant qu’influence, dans mon mode d’écriture.
Même si certaines images fortes (Batman sur fond d’éclair, par exemple) sont des références incontournables chez moi.
EFDLT : Le danger, avec les images fortes, c’est qu’elles deviennent vite des caricatures si on n’y prend pas garde. En tant que scénariste, tu as déjà utilisé des images fortes « à la Miller » pour le regretter par la suite ?
Jim Lainé : Ah, tu as un don pour les questions difficiles.
Je ne crois pas l’avoir regretté, ou alors je ne me souviens plus. Ou alors y a longtemps. Ou il sentait pas bon… Enfin, tu connais la chanson.
Bon, pour ce qui est des images frappantes et des citations visuelles, j’essaie de limiter le truc, quand même, de faire des références peu fréquentes, pour qu’elles soient pertinentes et efficaces. Mais en revanche, parfois, je tombe sur des dessinateurs qui n’ont pas les mêmes références que moi. Genre, des jeunes ! Et donc faut leur expliquer pourquoi c’est important, mais comme ils ne sont pas toujours dans le mood, parfois, c’est pas la peine d’insister.
Mais bon, parfois, on parle le même langage. L’image de Batman sur fond d’éclair, on l’a utilisée, avec Bojan Vukic, dans le tome 2 de Grands Anciens. Et ça fonctionne à plein, mais Bojan a en gros le même âge que moi, les mêmes lectures, les mêmes références.
[à suivre]