Corps de pierre est un comic book de Joe Casey et Charlie Adlard aux éditions Delcourt (traduction de Nick Meylaender). Le dessinateur est surtout connu en France pour son travail sur la série de zombies Walking Dead (écrite par Robert Kirkman). Vétéran des comics américains, Joe Casey n’écrit pas ici sa première histoire avec l’artiste anglais. Ensemble, ils ont déjà pondu l’intriguant Codeflesh.
Avec Corps de Pierre, Adlard signe un travail précis, fouillé, esthétique et probablement plus abouti que sur les aventures de Rick Grimes contre les morts-vivants. Son trait noir et blanc lorgne sur la ligne claire. L’absence d’aplats de noirs est remarquable pour qui a l’habitude de le lire sur Walking Dead (et croyez-moi, en tant que traducteur de la série, je baigne dedans). La BD se passe quasiment de niveaux de gris, hormis quelques effets sur le protagoniste pour matérialiser l’évolution de son problème.
On sent bien que Charlie Adlard est moins pressé quand il dessine la mini-série « Rock Bottom » (le nom original de « Corps de Pierre ») que lorsqu’il œuvre sur le mensuel Walking Dead. À l’arrivée, le résultat est rafraichissant. L’ambiance est nettement plus légère, même si l’action est dramatique. On est plus proche de la fable que du film d’épouvante.
Cet aspect « Quatrième Dimension », Joe Casey s’en sert dans cette histoire à chute pour interroger son lecteur. Qu’est-ce que c’est que la vie ? Quel est son sens ? Qu’est-ce qu’une vie par rapport à la mort ? Ou par rapport à la perspective de la mort ? Ces questions sont parsemées d’éléments appartenant clairement au genre fantastique, avec un clin d’œil à l’univers des super-héros. La Chose lit probablement le comic book entre deux super-vilains et un colis piégé du gang de Yancy Street.
Tommy Dare est pianiste dans un groupe. C’est lorsque ses doigts deviennent de moins en moins agiles qu’il est alerté. Il se passe quelque chose dans son corps. À partir de là, c’est la dégringolade. Sa vie privée est déjà en ruine, son divorce est en cours, sa maîtresse est enceinte mais il ne veut plus entendre parler d’elle ni du gosse. Le bordel. Le thème de la paternité est visible à travers les péripéties de notre protagoniste : son ex a fait une fausse couche, son père l’a abandonné il y a plus de vingt ans. Il ne veut pas devenir comme cet homme qu’il déteste mais il en prend le chemin en tournant le dos à la femme avec qui il a fauté (à l’origine du divorce).
Entre son ex, sa maîtresse, son groupe, ses copains, son avocat, son médecin, tout le monde veut un morceau de Tommy. Tiraillé de tous les côtés, il devient un véritable mur de Berlin dont chacun veut une miette. Il ne peut pas satisfaire tout le monde. Il ne peut même pas se satisfaire lui-même. Tommy a envie d’arrêter. Il voudrait qu’on lui foute la paix. Pas de famille. Pas d’enfant. Juste le gamin qu’il sauve de manière spectaculaire et qui fait de lui un héros. Une vedette. Finalement, à défaut de paternité, cet acte de bravoure lui offre la postérité.
La postérité de Tommy, c’est lui-même. Légende vivante, il finit en statue. Est-il mort ? Je n’en sais rien. Une chose est sûre, il a gagné sa part d’éternité.